Friday, April 19, 2024
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Crise ukrainienne: jusqu’où ira Vladimir Poutine?

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Le président russe Vladimir Poutine a fait monter dramatiquement la pression lundi dans la crise ukrainienne en reconnaissant formellement l’indépendance de territoires contrôlés par des séparatistes pro-Moscou dans l’est du pays.

La décision de l’homme fort russe – et l’ordre donné dans la foulée à ses troupes de se déployer dans les territoires en question pour officiellement les «pacifier» – a été rapidement décriée comme une atteinte à la souveraineté ukrainienne et une violation du droit international par plusieurs pays occidentaux.

Le Conseil de sécurité de l’ONU s’est réuni d’urgence en soirée lundi pour faire le point sur la crise. L’ONU et une majorité de membres ont dénoncé la décision de la Russie de reconnaître l’indépendance des républiques de l’est de l’Ukraine, comme celle de déployer des troupes. Pour sa part, Moscou a assuré demeurer «ouvert à la diplomatie»

«Les prochaines heures et jours seront critiques. Le risque de conflit majeur est réel et doit être évité à tout prix», a soutenu au début de la réunion la secrétaire générale adjointe de l’ONU pour les Affaires politiques, Rosemary DiCarlo.

Le fait que le président russe ait désigné son armée de «force de maintien de la paix» pour justifier son entrée dans les territoires séparatistes de l’est de l’Ukraine est «un non-sens», a affirmé l’ambassadrice des États-Unis aux Nations Unies, Linda Thomas-Greenfield.

L’Ukraine demande à la Russie «d’annuler sa décision de reconnaissance» des territoires sécessionnistes ukrainiens, «de revenir à la table des négociations» et de procéder à «un retrait immédiat et vérifiable de ses troupes d’occupation», a lancé l’ambassadeur de l’Ukraine à l’ONU, Sergiy Kyslytsya. Mais à l’issue d’une réunion tendue, le diplomate ukrainien a estimé que les «Nations unies étaient malades […] frappées par le virus propagé par le Kremlin».

La Chine a de son côté appelé lundi les acteurs de la crise ukrainienne à «faire preuve de retenue»

Sanctions à venir

En guise de riposte, lundi soir, le président des États-Unis, Joe Biden, a publié un décret qui interdit tout nouvel investissement, échange ou financement par des personnes américaines à destination, en provenance ou dans les régions prorusses de Donetsk et Lougansk. Washington doit annoncer ce mardi de nouvelles sanctions.

L’Union européenne, le Royaume-Uni et le Canada ont également annoncé leur intention d’imposer des sanctions contre le régime russe avant que le Conseil de sécurité ne se réunisse d’urgence lundi soir.

“Il s’agit d’une violation manifeste des accords de Minsk et de la Charte des Nations Unies, ainsi que d’une menace sérieuse pour la sécurité et la stabilité de la région.” – Mélanie Joly, ministre canadienne des Affaires étrangères, dans un communiqué

Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a déclaré attendre des alliés occidentaux un soutien «clair» et «efficace» à son pays face à la Russie.

Vers une offensive à grande échelle

Le déploiement russe risque fort de servir rapidement de prétexte à une offensive à grande échelle sur le sol ukrainien, préviennent plusieurs analystes consultés lundi.

«Ce que Poutine veut, ce ne sont pas ces territoires séparatistes, qui étaient déjà de facto sous son contrôle. Il veut contrôler l’Ukraine», indique Eugene Rumer, spécialiste de la Russie rattaché au Carnegie Endowment for International Peace.

Les territoires des républiques séparatistes de Donetsk et de Lougansk, dans le Donbass, ont échappé au contrôle des autorités ukrainiennes en 2014 à la suite d’un soulèvement soutenu en sous-main par la Russie.

Moscou réclamait depuis des années que Kiev leur reconnaisse formellement une large autonomie, conformément aux dispositions d’accords de paix conclus à Minsk qui n’ont jamais été appliqués.

Brian Taylor, spécialiste de la Russie de l’Université de Syracuse, note que le régime russe souhaitait par ce stratagème s’assurer de garder un levier pour influer notamment sur la politique étrangère ukrainienne et empêcher l’adhésion du pays à l’OTAN.

La décision de reconnaître l’indépendance des deux territoires séparatistes marque l’abandon définitif des accords de Minsk et revient à «jeter ce levier à la poubelle», souligne l’analyste.

Il voit mal comment Vladimir Poutine pourrait se contenter de renforcer son contrôle sur cette zone limitée alors que l’intervention annoncée lundi est susceptible de renforcer la volonté du gouvernement ukrainien de se joindre à l’alliance militaire occidentale.

Les autorités russes répètent depuis plusieurs jours que les forces ukrainiennes multiplient les tirs et les attentats dans les territoires séparatistes, des allégations démenties par Kiev, qui parle plutôt de provocations et de fabrications de Moscou visant à donner au président russe un prétexte pour intervenir.

Dans cette veine, les autorités russes ont évoqué lundi une improbable tentative d’incursion d’un commando ukrainien sur le sol russe ainsi que la destruction d’un bâtiment frontalier.

M. Taylor estime que les troupes russes envoyées dans les territoires séparatistes risquent de s’en prendre directement aux soldats ukrainiens qui sont postés au-delà de la ligne de contact séparant depuis des années les belligérants au Donbass de manière à favoriser un embrasement du conflit et des opérations militaires à plus large échelle dans le pays.

Ils pourraient notamment baser leur action sur le fait que les séparatistes revendiquent une partie du territoire du Donbass qui n’est pas actuellement sous leur contrôle.

“Les soldats ukrainiens ne pourront pas toujours se contenter de ne pas réagir. À un certain moment, le gouvernement va décider qu’il faut combattre.” – Brian Taylor, spécialiste de la Russie de l’Université de Syracuse.

Dominique Arel, spécialiste de l’Ukraine rattaché à l’Université d’Ottawa, est aussi d’avis que les visées de Vladimir Poutine vont bien au-delà des territoires séparatistes de l’est du pays.

Le président russe, dit-il, a livré lundi à la télévision un discours «terrifiant» ponctué de «mensonges» qui le montrait clairement. Son allocution visait clairement, selon lui, à dépeindre l’Ukraine comme une grave menace pour la Russie de manière à justifier des actions militaires d’envergure.

«Il est même allé jusqu’à dire que l’Ukraine cherche à se doter de l’arme nucléaire, ce qui est une fabulation totale», note M. Arel.

Le président russe a aussi dépeint à cette occasion le pays comme une « colonie » des États-Unis mené par un gouvernement «de marionnettes».

Le Kremlin a concentré au cours des derniers mois plus de 150 000 soldats en périphérie de l’Ukraine tout en répétant qu’ils participaient à des exercices militaires et seraient ensuite retournés à leurs casernes.

PHOTO GLEB GARANICH, REUTERS

Soldat ukrainien dans une tranchée près de Travneve, dans l’est du pays

Une «gifle» à la diplomatie

Frédéric Mérand, qui dirige le Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal, pense qu’il est difficile de prévoir jusqu’où Vladimir Poutine entend aller dans le cadre de la crise actuelle.

L’attitude des pays occidentaux, qui promettent depuis des semaines de sanctionner très sévèrement la Russie pour toute intervention militaire en Ukraine, pourrait, selon lui, avoir une incidence non négligeable sur la suite des choses.

Il n’y aura pas de solution rapide à cette crise.

Frédéric Mérand, directeur du Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal

La décision de Moscou représente, quoi qu’il en soit, une véritable « gifle » pour les efforts diplomatiques que menaient certains pays, dont la France, pour favoriser la recherche d’une solution négociée, relève Eugene Rumer.

Le président français Emmanuel Macron avait annoncé dimanche que le président américain Joe Biden et son homologue russe avaient donné leur accord de principe à la tenue d’un sommet dont les modalités restaient à définir.

Les chances qu’il se réalise paraissent aujourd’hui bien minces, note M. Rumer, qui voit mal comment les demandes de Moscou envers l’Ukraine pourraient trouver une réponse négociée satisfaisante pour Vladimir Poutine.

«Il faudrait qu’il obtienne l’assurance du gouvernement en place à Kiev que le pays ne rejoindra jamais l’OTAN et suivra les orientations souhaitées par la Russie. Ça n’arrivera pas», conclut l’analyste.

L’ESCALADE EN UKRAINE EN CINQ MOMENTS CLÉS

Plus de 3200 violations de trêve

PHOTO GLEB GARANICH, REUTERS

Un militaire ukrainien regarde un morceau d’obus au sol, à Travneve, dans la région séparatiste de Donetsk.

De vendredi soir à dimanche soir, les observateurs de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) ont recensé 2158 violations de trêve dans la région de Donetsk et 1073 dans celle de Lougansk, soit les deux régions désormais déclarées indépendantes par le Kremlin. Il s’agit principalement d’« explosions » autour de la ligne de front. L’intensité des violences dans l’est de l’Ukraine, théâtre depuis huit ans d’une guerre avec des séparatistes soutenus par la Russie, a brusquement monté la semaine dernière dans le contexte de crainte d’une invasion russe imminente. Moscou a massé depuis des semaines des dizaines de milliers de soldats à la frontière ukrainienne.

Des morts et une liste

PHOTO ALEXEY NIKOLSKY, AGENCE FRANCE-PRESSE

Vladimir Poutine, président de la Russie

Dans la nuit de dimanche à lundi, la Russie a annoncé avoir tué cinq « saboteurs » de l’armée ukrainienne qui s’étaient rendus à la frontière russe. Le pays a d’abord affirmé que «cinq personnes appartenant à un groupe de saboteurs et de renseignement ayant violé la frontière de la Russie ont été éliminées». Le ministère ukrainien de l’Intérieur a démenti l’allégation, affirmant qu’aucun soldat n’avait franchi la frontière ni n’avait été tué. Les États-Unis ont averti l’Organisation des Nations unies (ONU) de l’existence d’une liste d’Ukrainiens à éliminer en cas d’invasion de l’Ukraine par la Russie. Pendant ce temps, dans l’est de l’Ukraine, de violents affrontements se sont poursuivis lundi. Kiev a fait état de 14 bombardements des rebelles prorusses, dans lesquels un soldat a été blessé et un civil, tué.

Sommet Biden-Poutine

Jusqu’à lundi matin, la voie diplomatique pour régler la crise entre la Russie et l’Ukraine était toujours sur la table. Un sommet entre les présidents russe et américain, Vladimir Poutine et Joe Biden, avait été annoncé dimanche par le gouvernement français, à condition que la Russie n’envahisse pas l’Ukraine. Le Kremlin a toutefois refroidi les espoirs qu’une telle rencontre ait lieu dès lundi matin, qualifiant de «prématurée» l’organisation du sommet. Le processus de paix dans le conflit en Ukraine n’a «aucune perspective», a déclaré dans la même veine le président russe.

Déclaration d’indépendance et armée russe

Vladimir Poutine a ordonné lundi soir à son armée d’entrer dans les territoires séparatistes de l’est de l’Ukraine. Le président avait déclaré un peu plus tôt, lors d’une allocution télévisée, reconnaître l’indépendance de deux territoires prorusses de l’est de l’Ukraine, soit Donetsk et Lougansk. Dans une longue adresse télévisée, dans laquelle il a laissé apparaître des moments de colère, M. Poutine a intimé à l’Ukraine de cesser immédiatement «ses opérations militaires» contre les séparatistes, au risque d’assumer «la responsabilité de la poursuite de l’effusion de sang». Il a par la suite demandé au ministère de la Défense que «les forces armées de la Russie [y assument] les fonctions de maintien de la paix».

Réunion d’urgence du Conseil de sécurité de l’ONU

PHOTO TIMOTHY A. CLARY, AGENCE FRANCE-PRESSE

Réunion d’urgence du Conseil de sécurité de l’ONU, à New York, lundi soir

Le Conseil de sécurité de l’ONU a tenu lundi soir une réunion d’urgence à New York. L’ONU et une majorité de membres du Conseil de sécurité ont dénoncé les actions de la Russie. «Les frontières internationalement reconnues de l’Ukraine resteront inchangées, peu importe les déclarations et les actions de la Russie», a déclaré l’ambassadeur de l’Ukraine à l’ONU, Sergiy Kyslytsya. La désignation de l’armée russe comme «force de maintien de la paix», pour justifier son entrée dans les territoires séparatistes de l’est de l’Ukraine, est «un non-sens», a aussi assené l’ambassadrice des États-Unis aux Nations Unies, Linda Thomas-Greenfield. La Russie n’a pas fermé la porte à la diplomatie pour résoudre la crise, mais empêchera un «bain de sang» dans les territoires séparatistes de l’est du pays, a assuré l’ambassadeur du Kremlin à l’ONU, Vassily Nebenzia.

ILS ONT DIT

PHOTO EFREM LUKATSKY, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Volodymyr Zelensky, président de l’Ukraine

Nous n’avons peur de rien ni de personne. Nous ne devons rien à personne. Et nous ne donnerons rien à personne.

Volodymyr Zelensky, président de l’Ukraine

PHOTO ADRIAN WYLD, LA PRESSE CANADIENNE

Justin Trudeau, premier ministre du Canada

[Le Canada] rejette et condamne les décrets russes ordonnant l’envoi de forces militaires en Ukraine. On soutient toujours la souveraineté, l’intégrité territoriale et l’indépendance de l’Ukraine.

Justin Trudeau, premier ministre du Canada

PHOTO FOURNIE PAR LA MAISON-BLANCHE, REUTERS

Joe Biden, président des États-Unis

J’ai signé un décret exécutif pour empêcher la Russie de tirer profit de ses violations flagrantes du droit international.

Joe Biden, président des États-Unis

PHOTO JOHANNA GERON, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Emmanuel Macron, président de la République française

En reconnaissant les régions séparatistes de l’est de l’Ukraine, la Russie viole ses engagements et porte atteinte à la souveraineté de l’Ukraine. Je condamne cette décision.

Emmanuel Macron, président de la République française

PHOTO THOMAS KIENZLE, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne

La reconnaissance de deux territoires séparatistes en Ukraine est une violation flagrante des lois internationales, de l’intégrité territoriale de l’Ukraine et des accords de Minsk.

Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne

PHOTO DARRIAN TRAYNOR, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Scott Morrison, premier ministre de l’Australie

[Les actions russes sont] inacceptables, non provoquées et injustifiées.

Scott Morrison, premier ministre de l’Australie

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