Croissance, stop ou encore ? L’implacable démenti des chiffres sur les inégalités mondiales aux tenants de la décroissance

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Même si la mondialisation, le capitalisme et le libre échange ont permis une réduction massive et rapide de la pauvreté sur Terre, le monde est encore beaucoup trop pauvre pour que la pauvreté puisse être vaincue sans une forte croissance.

Interview d’Aymeric Belaud, chargé d’études à l’IREF, et de Pierre Bentata pour Atlantico

Atlantico : Malgré une forte croissance sur la planète ces dernières années, les inégalités mondiales de revenus sont toujours présentes et la moitié la plus pauvre du monde, soit 4 milliards de personnes, vit avec moins de 6,7 $ par jour. De plus vivre avec 30$ par jour situe dans la catégorie des 15 % des plus riches, alors même que c’est approximativement le seuil de pauvreté fixé dans les pays à revenu élevé. Pourtant, la pauvreté a aussi largement baissé ces 25 dernières années, mais la situation reste insatisfaisante. Comment expliquer ce phénomène ? La croissance n’a-t-elle pas été assez suffisante ?

Aymeric Belaud : En 2020 et 2021, le Covid-19, ou plutôt les restrictions gouvernementales pour endiguer la pandémie, a stoppé la chute de la pauvreté dans le monde.

Si l’on fait fi de cette crise, la pauvreté baisse au niveau mondial, et ceci depuis plus d’un siècle. Cette baisse s’est accélérée depuis les années 80. La grande pauvreté est passée de plus de 40% de la population mondiale dans les années 1980 à moins de 10% à la fin des années 2010. Et ceci grâce à l’économie de marché et à l’ouverture du commerce au niveau international. C’est ce que démontrent les nombreux travaux de l’IREF en la matière.

Le nombre d’individus vivant en « extrême-pauvreté » a diminué drastiquement au début du siècle, alors que la population mondiale explosait. Malheureusement, la croissance n’a pas été assez forte dans certains pays, ou du moins elle n’a pas profité à tous, non pas à cause d’une mauvaise redistribution des richesses, mais à cause des réglementations, des taxes et des impôts.

Le poids de l’Etat et le peu de liberté économique en Afrique sont un énorme frein à la réduction de la pauvreté sur ce continent. Au contraire, le Botswana, l’un des pays les plus libres économiquement, voit son PIB/habitant augmenter beaucoup plus vite que d’autres pays voisins à l’économie dirigée.

Regardons aussi les pays d’Europe centrale et de l’Est qui, en libérant leurs économies, se développent plus vite et sortent une bonne partie de leur population de la pauvreté. La République tchèque, pays le plus libéral d’Europe, voit son PIB/habitant en parité pouvoir d’achat bientôt dépasser celui de l’Espagne et de l’Italie.

La lutte contre les inégalités est contre-productive. L’objectif de toute bonne politique ne doit pas être de réduire les inégalités, qui ont toujours existées et qui existeront encore, mais plutôt de diminuer le nombre de pauvres. Vouloir la suppression totale des inégalités, c’est un doux rêve qui ne fait que promouvoir les pires régimes socialistes, ou certes les individus sont égaux, mais dans la pauvreté.

Pierre Bentata : Pour répondre à cette question, il faut voir le bon côté des choses. Si on revient une dizaine d’années en arrière, quand on parlait du niveau de pauvreté, on disait qu’être pauvre c’était vivre avec moins d’un dollar par jour. Assez rapidement, on a dit qu’être pauvre c’était vivre avec deux dollars par jour. Aujourd’hui, Our World In Data considère le seuil absolu de pauvreté comme vivre avec moins de 6,7 dollars par jour. Quand on se demande où est passé la croissance, il faut prendre un phénomène que l’on observait il y a dix ans et voir que l’indicateur d’observation a été multiplié par 6.

Pendant que les pays en voie de développement croissent, les pays les plus riches ne s’arrêtent pas de vivre. Cela a été l’une des grandes découvertes à partir des années 60-70, les modèles de croissance économique ont montré que la croissance n’était pas linéaire. Nous ne sommes pas tous sur les mêmes rails pour arriver au même résultat. On se disait que les pays les plus pauvres avaient des taux de croissance les plus forts, que les pays les plus riches avaient de faibles taux de croissance et qu’un jour nous aurions tous le même taux de richesse. Mais avec les dernières innovations techniques et l’accumulation de données, nous nous sommes aperçus que ce n’était pas le cas. Les pays les plus riches connaissent des innovations technologiques que les autres vont connaître, mais plus tard qui les font changer de trajectoire de croissance. Mécaniquement, il y a toujours des inégalités. Cela ne veut pas dire que la croissance est trop faible, mais cela veut dire que nous avons ce double phénomène en même temps.

On a des pays pauvres qui rattrapent les pays riches pendant que les pays riches sautent sur d’autres trajectoires de croissance. On peut avoir un double effet d’enrichissement global de la population mondiale, d’une baisse de niveau de pauvreté comme on a pu le voir auparavant, mais avec une augmentation des inégalités et donc avec une augmentation de la pauvreté relative.

Des cas éloquents de pays existent, illustrant ce manque de croissance. Quand on regarde où se situe l’extrême pauvreté depuis les années 60, il y a des endroits où elle a quasiment disparu : l’Asie du Sud-Est par exemple, la Chine ou l’Inde. Aujourd’hui, le drame est là, les pays qui n’ont pas connu suffisamment de croissance et qui voient les inégalités se creuser par rapport au reste du monde sont tous localisés au même endroit : il s’agit de l’Afrique sub-saharienne. Si l’on combine cette région du monde avec Haïti et le Bangladesh, on a la totalité des pays vivants dans l’extrême pauvreté aujourd’hui. Ils n’ont pas connu une croissance suffisante.

Si on regarde la situation dans le détail. On s’aperçoit que le transfert technologique est très important, mais le déterminant fondamental est la stabilité d’un pays. Ce sont les institutions qui font la croissance et sur ce point ces pays en manquent.

Certains affirment que c’est avant tout un problème de redistribution, mais avons-nous accumulé assez de richesses pour effectivement combler l’extrême pauvreté de la population mondiale ? Dans ce contexte, prôner la décroissance a-t-il réellement un sens ?

Aymeric Belaud : Non, certainement pas. L’État-providence n’est pas à l’origine de notre prospérité. La redistribution encore moins. L’histoire économique des pays occidentaux en est un bon exemple. La baisse drastique du taux de pauvreté dans les économies libérales a drastiquement chuté bien avant la mise en place de programmes sociaux de grandes ampleurs. Le taux de pauvreté en France a par exemple chuté de 50 à 10 % sur la période 1820-1930. Les années 30 annonçant l’arrivée de grands programmes sociaux et d’adoption « d’acquis sociaux », la pauvreté a stagné avant de légèrement diminuer.

La décroissance serait un contraire un grand retour en arrière. C’est bien la croissance, associée à la liberté économique, qui permet la réduction de la pauvreté. La décroissance, c’est ce que nous avons connu lors des confinements l’année dernière. Prôner que la décroissance va diminuer le nombre de personnes pauvres est un contre sens total à ce que l’histoire économique nous enseigne depuis des années.

Pierre Bentata : C’est une image qui revient souvent. Et certains pensent, si on l’applique à un autre secteur, que si Elon Musk distribuait la totalité de ses dividendes à ses employés on pourrait augmenter les salaires, mais ce n’est pas le cas. Selon un récent calcul qui a été fait sur l’entreprise Starbucks, si on versait la totalité des dividendes aux employés, on pourrait augmenter tous les employés de 42 dollars par an et non par jour…

C’est un peu la même idée au niveau mondial. Si l’on distribue la totalité de la richesse mondiale, il est certain qu’il n’y en aurait pas assez pour sortir toute la population de l’extrême pauvreté. Et surtout si l’on redistribue la totalité de la richesse, quel intérêt il y a pour ceux qui produisent la richesse à le faire. Au final, ce sont les pays qui ont le plus encouragé la cupidité, qui s’en sont le mieux sortis.

La redistribution peut être utile, quand les ménages, les entreprises donnent aux pays les plus pauvres c’est une bonne chose. Mais ce n’est pas suffisant et il faut être certain de ce que l’on redistribue et à qui. C’est toute la problématique de la Banque Mondiale qui fournit des prêts aux plus pauvres directement car si l’on fournit cet argent aux États sous forme d’aide publique au développement, on s’aperçoit qu’il n’arrive jamais dans les mains des entreprises et des ménages. Redistribuer oui, mais l’argent peut arriver dans les mains des États qui sont la raison pour laquelle ces pays n’ont pas de croissance. Souvent ils gèrent mal, sont corrompus et sont instables.

Prôner la décroissance a-t-il réellement un sens ?

Pierre Bentata : Prôner la décroissance sur ce sujet est la pire des choses à faire. Dans ce cas, cela veut dire redistribuer moins puisque la masse totale sera moindre, partager un gâteau plus petit pour enrichir des personnes qui sont parmi les plus pauvres. C’est infaisable et politiquement inacceptable. Quel citoyen français ou européen acceptera de gagner moins d’argent et que cet argent avantage les plus pauvres ? Je ne vois pas comment c’est possible et comment cela pourrait bénéficier aux plus pauvres.

Si l’on redistribue une part plus importante d’une richesse plus faible aux plus pauvres, il n’y a quasiment aucune chance que cela leur serve à quelque chose. D’autant plus, les décroissantistes demandent qu’ils ne polluent pas. Il y a une transition écologique et énergétique qui suit une transition économique. Tant que l’on est pauvre, on a besoin de machines polluantes et c’est le meilleur moyen de sortir de la pollution. Si l’objectif est de protéger l’environnement et de lutter contre la pauvreté, c’est l’inverse que l’on doit faire. Le démographe Michaël Shellenberger a fait des estimations à ce propos et il a étudié le meilleur moyen pour réduire la pollution en Inde. Les laisser utiliser le charbon va les enrichir très vite car les rendements sont très forts et cet enrichissement va amener la population à un niveau de revenus à partir duquel ils accepteront d’avoir une énergie propre. Il faut accélérer la croissance et non la diminuer.

Les problématiques environnementales devenant de plus en plus préoccupantes, est-il possible de lier croissance et attention à la planète ? Est-ce la solution pour concilier un monde plus vert et une réduction des inégalités plus importante ?

Aymeric Belaud : C’est même l’unique solution. Si l’on veut concilier réduction de la pauvreté et amélioration de la qualité de vie, il n’y a pas d’autres alternatives que la croissance. C’est d’ailleurs le sens de toute l’histoire humaine. Les faits abondent dans ce sens. Nos sociétés industrialisées sont beaucoup moins polluantes qu’avant la Révolution industrielle. L’air de Paris est, malgré les présupposés, plus « pur » actuellement qu’au Moyen-Age. Nos pays sont d’ailleurs plus écologiques que les pays pauvres encore peu industrialisés. Le nombre de morts de catastrophes naturelles ne cesse de diminuer. Si un progrès apporte des désagréments, ils sont résolus par de nouveaux progrès. Et ces derniers apportent plus de prospérité aux populations.

Pierre Bentata : C’est ce que nous montrent les données, pour le Danemark, la Norvège, la France… Les pays les propres sont aussi les pays les plus riches, il n’y a aucun doute. Les investissements en la matière coûtent cher et nécessitent énormément de compétences. Il faut de très fortes compétences dans le numérique car la transition énergétique est une transition numérique.

La conscience environnementale vient en s’enrichissant. Quand on ressent la faim, on a peu conscience de l’impact de la centrale à charbon sur la planète. Les écologistes les plus cohérents finalement sont ceux qui veulent transformer l’homme. Aujourd’hui tel qu’il est, il a besoin d’innovation technique pour s’intéresser à la nature.

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