Les affaires Voiculescu concernant un procès pour blanchiment d’argent et des saisies de biens sont déclarées irrecevables par la Cour européenne

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Dans sa décision rendue dans les affaires Voiculescu c. Roumanie (requête no 493/15) et Camelia Rodica Voiculescu et autres c. Roumanie (nos 502/15, 1559/15, 2836/15 et 2839/15), la Cour européenne des droits de l’homme déclare, à l’unanimité, les requêtes irrecevables. Ces décisions sont définitives.
Ces affaires concernent le procès de Dan Voiculescu – un homme d’affaires et ancien homme politique bien connu – pour blanchiment d’argent, ainsi que la saisie d’actifs considérés comme des produits du crime qui appartenaient à ses filles et aux sociétés qu’il possédait.

Principaux faits
Le requérant dans la première affaire, Dan Voiculescu, est un ressortissant roumain né en 1946 et résidant à Bucarest.
Les requérantes dans la seconde affaire sont deux ressortissantes roumaines, Camelia Rodica Voiculescu et Corina Mirela Voiculescu, ainsi que deux sociétés roumaines, Compania de Cercetări Aplicative și Investiții S.A. et Grupul Industrial Voiculescu și Compania S.A. Les deux premières requérantes sont nées respectivement en 1974 et 1975 et résident respectivement à Petrești (Roumanie) et à Bucarest. Les sociétés requérantes sont basées à Bucarest.
Dan Voiculescu est le père des deux requérantes et le propriétaire des deux sociétés requérantes. C’est un homme d’affaires et un ancien homme politique bien connu. À plusieurs reprises, en qualité de chef d’un parti politique, il tint dans les médias des propos critiques envers le président de la Roumanie, notamment. En 2014, le président de la Roumanie aurait déclaré ce qui suit au sujet du procès à venir de M. Voiculescu :
« Ce n’est pas vrai, et en particulier l’anticipation que tout le monde s’attend à une condamnation. Il pourrait très bien y avoir un acquittement. Je ne sais pas. Tout est possible. Le juge est le seul qui dispose de tous les éléments pour décider. »
À l’issue d’une enquête pour corruption, en 2014 la cour d’appel de Bucarest déclara finalement M. Voiculescu coupable de blanchiment d’argent et le condamna à une peine de dix ans de prison. Son arrêt contenait une motivation longue et détaillée, étayée par d’abondants éléments de preuve, et répondait à tous les arguments que les parties avaient soulevés. Pendant le procès, M. Voiculescu avait déposé sans succès plusieurs demandes de récusation de juges pour partialité.
À la suite de sa condamnation en première instance en 2013 par le tribunal départemental de Bucarest, ce tribunal avait ordonné la saisie de l’argent que M. Voiculescu avait donné à ses filles, et le procureur avait ordonné la saisie de biens détenus par toutes les requérantes de la seconde affaire. La juridiction d’appel allongea la liste des actifs devant être saisis. Elle expliqua que cette mesure était nécessaire pour empêcher que les biens en question ne fussent détériorés ou dissimulés et que ceux-ci avaient été acquis grâce à des activités criminelles.

Griefs, procédure et composition de la Cour
Les requêtes furent introduites devant la Cour européenne des droits de l’homme entre le 23 et le 31 décembre 2014.
Invoquant en particulier les articles 6 § 2 (présomption d’innocence) et 18 (limitation de l’usage des restrictions aux droits) de la Convention combinés avec les articles 6 § 1 (droit à un procès équitable) et 1 du Protocole no 1 (protection de la propriété) à la Convention, M. Voiculescu alléguait, en particulier, que l’État l’avait poursuivi à des fins politiques.
Invoquant les articles 6 § 1 et 7 (pas de peine sans loi) ainsi que l’article 2 du Protocole no 7 (droit à un double degré de juridiction en matière pénale) à la Convention, les autres requérantes alléguaient que le collège de juges qui avait ordonné la saisie de leurs actifs n’avait pas été impartial, que cette saisie ne reposait pas sur une base légale et que la « peine » constituée selon elles par la saisie n’avait pas été contrôlée par une juridiction supérieure.
La décision a été rendue par un comité de trois juges composé de:
Tim Eicke (Royaume-Uni), président,
Faris Vehabović (Bosnie-Herzégovine),
Pere Pastor Vilanova (Andorre),
ainsi que de Ilse Freiwirth, greffière adjointe.

Décision de la Cour
Article 6 § 2 (première requête)
Concernant les propos qui auraient été tenus par le président de la Roumanie et l’allégation selon laquelle ils auraient porté atteinte à la présomption d’innocence dans l’affaire de M. Voiculescu, la Cour estime que cette déclaration présumée ne laissait pas penser à une culpabilité de la part du requérant. Par conséquent, rien ne justifie de croire que l’impartialité du procès ait été compromise.
Ce grief est donc rejeté pour défaut manifeste de fondement.
Article 18 (première requête)
La Cour rappelle que le simple fait que des poursuites soient engagées contre une personnalité politique, même durant une campagne électorale, n’emporte pas automatiquement violation de son droit de se porter candidat. Quant aux déclarations de hauts fonctionnaires, elles n’auraient une incidence que si le tribunal de jugement n’était pas indépendant, manquement qui n’a pas été mis en évidence en l’espèce. Au sujet de l’indépendance des juridictions de jugement, la Cour relève que la procédure n’a pas été entachée d’arbitraire, M. Voiculescu ayant disposé de possibilités raisonnables de faire valoir ses arguments lors d’un débat contradictoire et les décisions qui ont été adoptées ayant été accompagnées d’une motivation détaillée, fondée sur les faits et le droit applicable.
Dans l’ensemble, il apparaît que rien ne prouve que les autorités aient conduit le procès pour des motifs inavoués, ce qui amène la Cour à rejeter ce grief pour défaut manifeste de fondement.
Autres articles (première requête)
Les autres griefs formulés par M. Voiculescu ne satisfont pas aux critères de recevabilité de la Cour et sont donc rejetés.

Article 6 § 1 (seconde requête)
La Cour note que les requérantes avaient demandé la récusation pour partialité de juges membres de la formation de jugement qui a ordonné les saisies et qu’elles ont reçu des réponses motivées. Aucun défaut d’impartialité de la part de juges ayant siégé dans leur affaire n’est apparu. Le grief est rejeté pour défaut manifeste de fondement.
Article 7 de la Convention et article 2 du Protocole no 7 (seconde requête)
Au sens de l’article 7 § 1 de la Convention, une « peine » est imposée à la suite d’une condamnation pour une « infraction ». Il est manifeste que les saisies en cause n’étaient pas liées à des infractions pénales qui auraient été commises par les requérantes de la seconde requête. Ces dispositions de la Convention ne trouvent donc pas à s’appliquer, et la Cour rejette ce grief.
Article 1 du Protocole no 1 (seconde requête)
La Cour estime que la réglementation de l’usage des biens dans cette affaire répondait à l’intérêt général de la collectivité, les biens en question étant considérés comme des produits du crime. Les requérantes ont été en mesure de contester les ordonnances devant un juge et d’exposer leurs arguments.
Le grief est donc manifestement mal fondé et la Cour le rejette conformément à sa jurisprudence constante (Telbis et Viziteu c. Roumanie, no 47911/15).
La décision n’existe qu’en anglais.

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