Un rapport parlementaire dénonce enfin les désillusions subventionnées de l’agriculture « bio » … un an après l’IREF

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Un rapport du Sénat passe au crible la politique pro « bio » de l’État. Si elle n’est pas remise radicalement en cause, c’est la première fois qu’elle est critiquée à la fois dans son application et dans ses fondements. Des objections que nous avions déjà soulevées dans notre rapport sur le « bio ».

300 pages passent au peigne fin la politique d’État en faveur de l’agriculture dite « biologique » (AB). Si le rapport de la commission des finances du Sénat publié fin janvier reste conventionnel dans ses conclusions, il est plus audacieux dans son contenu. Les considérations scientifiques bancales, les objectifs inatteignables, les subventions incontrôlables, tout y passe. Revue de détail.

Les fondements biaisés de l’AB

Si les rapporteurs Alain Houpert et Yannick Botrel ne remettent pas en cause radicalement le « modèle » de l’AB, ils émettent toutefois un certain nombre de doutes sur ses fondements et réclament un « point de vue lucide » (p 27).

Ils rappellent tout d’abord que l’AB n’a pas de vertus sanitaires : « Il est essentiel de souligner, compte tenu de l’image réductrice de l’agriculture biologique généralement répandue dans l’opinion publique, que cette dernière n’a pas seulement, ni, sans doute, principalement, une vocation alimentaire […] » (p 29). Ce sont pourtant les biais de l’appel à la santé et à la nature qui constituent la première raison pour laquelle les consommateurs achètent « bio ».

Sur les considérations environnementales, les rapporteurs soulignent leur scepticisme quant aux vertus de l’AB lorsqu’elle est comparée par volume de production : « […] ces performances, mieux établies quand on les mesure au regard des surfaces mobilisées que lorsqu’on les estime à partir du volume des productions réalisées, appellent des quantifications plus précises que celles aujourd’hui accessibles » (p 28).

Bien entendu, les sénateurs n’omettent pas de soulever les contradictions internes bien connues de l’AB. Celle-ci ne peut se passer de dérogations quant à l’utilisation de produits phytosanitaires synthétiques (p 32) et « emploie des produits naturels controversés » comme le cuivre ou des herbicides alternatifs (p 48 et 49).

S’ils maintiennent que les externalités positives associées aux cultures « bios » existent bel et bien, elles seraient en revanche non quantifiables : « Les estimations sur les avantages monétaires de l’agriculture biologique sont fréquemment controversées, dépendant de choix de valorisation de la vie humaine et animale qui peuvent varier considérablement, et suspendues à des données environnementales et épidémiologiques, qui, en l’état des connaissances, semblent relever davantage du doute raisonnable que du constat vérifié » (p 43).

Plus philosophiquement, les auteurs dénoncent le fondement juridique bancal de la réglementation protectionniste de l’AB : « En somme, d’emblée, l’agriculture biologique s’intègre dans un mélange de culture (de civilisation ?) et de systèmes physiques, mélange qui est assurément une expression fréquente de l’esprit du temps non dénuée de légitimité, mais aussi de fragilités. Afin d’obvier à ces dernières, vos rapporteurs spéciaux ne sauraient trop recommander que soient développées les explorations objectivables, encore trop rares, des apports physiques de l’agriculture biologique  » (p 31).

Un modèle plus vertueux que l’AC ?

Les sénateurs relativisent le discours ambiant prêtant toutes les vertus à l’AB face à une agriculture « conventionnelle » (AC) qui présenterait tous les défauts : «  Le clivage entre l’agriculture biologique et le modèle « productif », l’une dotée de toutes les vertus de la « nature naturante », l’autre affectée des vices, ou à tout le moins, des imperfections inhérents à la « nature naturée » procède d’une démarche grossière  » (p 44). Ils rappellent la légitimité des fondements productivistes d’une AC qui nourrit désormais le monde à sa faim (à l’exception, bien sûr, des pays qui n’ont pas fait leur Révolution verte) (p 46).

Sur le plan agronomique, les rapporteurs doutent de la pertinence d’une AB à grande échelle : « Pour faire simple, il n’est pas certain que les gains environnementaux attendus de la baisse des rendements dans les grandes plaines céréalières ou dans les zones d’élevage du Nord de l’Europe l’emportent sur les coûts résultant de la mobilisation des terres destinée à compenser les pertes de production associées dans les régions du monde où le défrichement gagne quotidiennement » (p 53).

Sur le plan économique, la fragilité de l’AB est soulignée tant sur le plan de l’offre (exploitations plus petites et moins productives) que de la demande : «  Il semble, en l’état actuel des choses, que la sobriété soit une composante importante du développement du bio. Il est moins évident que tous les consommateurs soient également capables, voire désireux, de se situer dans cette démarche » (p 54).

Les conversions vers l’AB s’expliquent en grande partie par les effets d’aubaine des surprix et des subventions qui attirent les exploitants les moins productifs : « Pour une partie primordiale, la progression surfacique de l’agriculture biologique relève moins du délaissement de la production agricole conventionnelle que de la « biologisation » de surfaces non, ou faiblement, productive.  » (p 60).

La progression indéniable de l’AB cache toutefois une diversité des évolutions selon les spécialisations qui ne manque pas d’inquiéter : «  La contribution prépondérante des surfaces fourragères à l’extension de la couverture surfacique de l’agriculture biologique paraît découler directement de la réponse des agriculteurs au système composite des aides à la transition agroécologique avec un régime des concours à l’agriculture biologique, qui peut permettre d’augmenter le taux de soutien par rapport aux régimes généraux appliqués à ce type de surfaces dans le cadre de la politique agricole commune (PAC) » (p 71).

Ces effets d’aubaine pourraient être préjudiciables pour le contribuable et générer un cadeau empoisonné pour l’agriculteur bénéficiant de cette manne : « Les règles qui encadrent les subventions au bio peuvent se révéler draconiennes pour les exploitants pour lesquels la conversion n’aurait été que d’opportunité, sans compter les questions alors posées en termes d’optimalité de dépenses publiques investies dans des projets non durables » (p 73).

Les auteurs soulignent par ailleurs la qualité très médiocre des données statistiques sur lesquelles les analyses et les prospectives sont réalisées : « Des progrès statistiques devraient intervenir pour disposer de données plus fiables, mais aussi plus significatives » (p 45). À titre d’exemple, « Le décompte des emplois dans l’agriculture biologique publié par l’agence bio repose sur des méthodes sans aucune fiabilité » (p 50).

Des objectifs inatteignables

La planification agricole souhaitée par le gouvernement affiche l’ambition d’atteindre 15 % de la surface agricole utile en AB d’ici 2022 (elle était de 7,5 % en 2018). Les rapporteurs sont catégoriques : au rythme actuel, cet objectif est inatteignable, d’autant plus que rien ne permet de s’assurer qu’une demande prête à payer un surprix suivrait l’augmentation de l’offre (p 85).

Ils vont d’ailleurs plus loin en dénonçant le simplisme et l’aveuglement d’un tel projet : « En l’état, la « définition », très « communicationnelle », de l’objectif national conduit à se référer à un élément, qui, même s’il ne lui est pas associé de valeur prescriptive, peut conduire à privilégier une approche grossièrement quantitative, insuffisamment adaptée aux enjeux qui appellent des analyses, globales et ponctuelles, fines et complexes » (p 84).

Le rôle des subventions

Les surprix ne suffisent pas à assurer la viabilité économique des exploitations en AB. On a plus de mal à suivre les rapporteurs lorsqu’ils affirment que le fait que les consommateurs assument un surprix pour financer les prétendues vertus environnementales de l’AB revient à faire de l’État un « passager clandestin » de la politique agroécologique (p 128).

Le constat est clair. Les subventions, bien qu’indispensables à la survie de l’AB, sont éparpillées entre de multiples acteurs et programmes (PAC, FEADER, MAEC, aides régionales, crédit d’impôt), gravement dysfonctionnelles, opaques, inégalement réparties géographiquement et selon les spécialisations, et surtout, insuffisantes : « A défaut de pouvoir préciser les charges annuelles, on peut se référer à un montant de charges budgétaires potentielles représentant a minima 222 millions d’euros par an pour la période de programmation 2015-2020. Cette provision a été dépassée, obligeant à couvrir une impasse de financement selon des modalités très critiquables » (p 178).

Les aides à la conversion et au maintien «  repose[nt] sur un principe de dédommagement, qui fonctionne à l’aveugle du fait du déficit actuel en évaluations technico-économiques des exploitations en bio » (p 162).

Le pouvoir discrétionnaire des agences de l’eau est particulièrement épinglé : «  Les aménagements apportés à la redevance pour pollution diffuse par la loi de finances pour 2019, qui devraient se traduire par un supplément de recettes de 50 millions d’euros par an à compter de 2020 ont accentué l’ampleur de cette pratique de débudgétisation. Elle contrevient à l’exhaustivité de l’autorisation parlementaire  » (p 154).

Alors même que le rythme actuel est très en deçà des objectifs affichés, «  les concours publics à l’agriculture biologique se sont trouvés débordés par l’expansion des surfaces passées au bio  » (p 139). «  L’objectif de biologisation de la surface agricole française supposerait ainsi, à niveau de soutien unitaire inchangé et pour les seules surfaces nouvellement concernées, plutôt 1,5 milliard d’euros de crédits, moyens auxquels il faudrait ajouter ceux nécessaires au respect des engagements pris à l’entrée de 2019  » (p 183). Montant auquel il faut ajouter la rente ambitionnée de 20 % de produits « bios » dans les cantines : « Le surcoût agrégé serait compris entre 640 millions d’euros et 1,3 milliard d’euros.  » (p 192).

Le « manque de rigueur » de la planification et le rôle trouble de l’agence bio

Les sénateurs s’attardent longuement sur l’insuffisance et les graves défaillances de l’empilement des systèmes de contrôle de l’AB (ministères de l’Agriculture et de l’Économie, INAO, ASP, agence bio …).

L’agence bio, véritable bras armé des intérêts de la filière « bio » dans l’administration, est particulièrement incriminée : avec des « missions contradictoires », « les conditions de sa gouvernance ne sont pas satisfaisantes et l’éventualité de situations de conflits d’intérêts […] aurait gagné à être écartée  » (p 22). Les sénateurs n’hésitent pas à envisager sa suppression (p 231). Ils appellent à un audit du « fonds avenir bio » géré par ce même organisme du fait d’une comptabilité «  particulièrement sommaire ».

Un rapport audacieux, mais insuffisant

Le rapport parlementaire soulève de manière courageuse une bonne partie des fragilités et des défauts de l’AB. Il détonne face au discours « tout bio » de la classe politique.

Il y a un an, nous avions dénoncé les illusions subventionnées du « bio » dans notre rapport de l’Institut de recherches économiques et fiscales (IREF) qui relevait déjà une bonne partie de ces défaillances. Nous avions détaillé d’autres éléments qui invitent à une critique sur le plan tant de l’efficacité que de la légitimité, sur lesquels les sénateurs auraient pu aussi insister comme l’obscurantisme antibiotechnologies ou la publicité mensongère du label AB et son monopole intellectuel. Ils auraient pu aussi pousser la comparaison entre AB et AC au niveau des subventions (par exemple, le litre de lait « bio » est subventionné au moins 50 % de plus que le lait conventionnel).

Ce rapport s’inscrit de plus dans l’approche jacobine de la planification centralisée où le libre marché est forcément jugé défaillant et où l’État, doué d’un pouvoir omniscient, serait capable d’assurer une transition vers l’« agroécologie ». À aucun moment les multiples échecs de la planification pro « bio » n’invitent les auteurs à remettre en cause sa légitimité initiale.

Enfin, si les impasses du « bio » sont tant critiquées dans la première partie du rapport, pourquoi ne pas avoir poussé la réflexion sur le fondement même de la politique de promotion de l’AB plutôt que d’appeler à approfondir la planification et augmenter les subventions ?

Néanmoins, saluons ce pavé dans la mare. Espérons qu’il sera une première étape vers une remise en cause plus générale de la politique du « tout bio » et qu’il marquera le début d’un retour à la rationalité, à la science et à l’économie de marché sur les questions agricoles en France.

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