LA GRANDE SÉCHERESSE DES ANNÉES 1942-1949

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La sécheresse actuelle, touchant la quasi-totalité du territoire français, succédant à des sécheresses de plus faibles ampleur survenues en divers endroits en 2018, 2019 et 2020, provoque des réactions alarmistes selon lesquelles ces événements météorologiques seraient sans précédent et seraient la preuve d’une avancée vers l’abîme climatique. Mais est-ce exact?

La grande sécheresse des années 40

Et bien non. Un rapport intitulé “la Sécheresse des années 1942-1949”, écrit en 1950 par Joseph Sanson, vice directeur de la météorologie nationale, et Maurice Pardé, professeur à l’école nationale supérieure d’hydraulique, nous montre que ces années ont été anormalement sèches, et sans doute bien plus qu’aujourd’hui par endroit.

Les auteurs notent d’abord qu’un déficit pluviométrique a été constaté 7 années de suite dans les massifs montagneux Français, et que plusieurs de ces années ont vu des épisodes anticycloniques de longue durée empêcher les perturbations atlantiques de venir arroser l’ensemble du territoire. Ainsi, en 1948-1949, un tel épisode anticyclonique a duré 254 jours.

Cette succession d’événements secs a provoqué un assèchement des principaux bassins fluviaux, et plus particulièrement de la Seine, de la Loire et de la Garonne, surtout observés entre 1947 et 1949. Les auteurs expliquent qu’un régime de pluies faibles et rares amplifie les déficits de débit fluvial, les pluies faibles étant d’abord captées par les sols et les nappes. De plus, contrairement à ce qui s’était produit lors de la grande sécheresse de 1921, qui succédait à 10 années très humides, les successions de sécheresses avaient vidé les réserves souterraines capables de soutenir les débits. Cela explique que de nombreux cours d’eau, notamment secondaires, étaient à sec ou quasiment à sec lors de l’été 1949.

Une sécheresse imprévisible et d’ampleur supérieure à celle d’aujourd’hui

Les auteurs ajoutent que de telles basses valeurs de débit étaient parfaitement impossibles à prévoir sans changement du climat avant 1941, tant elles se sont écartées des pires mesures antérieures. Ainsi par exemple, la Loire, à la station de Montjean (Maine et Loire, entre Angers et Nantes), a connu un déficit cumulé de débit de 41% sur les 8 années 41-49, alors que les mesures antérieures sur un grand fleuve français n’avaient pas dépassé 25% de déficit pour la Seine entre 1857 et 1865. Plus particulièrement, entre octobre 1948 et septembre 1949, le débit mesuré à cette même station a été 5 fois moins élevé que la moyenne. Le précédent record, en 1920-1921, n’était “que” de 3,3 fois.

Les auteurs soulignent qu’en dehors des alpes et de l’aval rhodanien, relativement épargnés, la pénurie hydrologique observée alors était “sans précédent connu, (…) peut être 2 à 3 fois plus graves que lors des années antérieures les plus défavorisées depuis 118 ans”.
Si aujourd’hui, certains alarmistes diffusent sur les réseaux sociaux des photos du lit de la Loire presque à sec, notamment à Varades, à quelques kilomètres en aval de Montjean, ils oublient de mentionner que le débit actuel du fleuve mesuré à cette station est de 94m3/s, alors que le record mesuré le 23 Août 1950 s’établit à 50m3/s. La mesure actuelle reste également supérieure aux minima de 1921 (67m2/s) et 1911 (74m3/s). Rien ne dit que la mesure actuelle ne descendra pas encore, mais nous restons pour l’heure loin des minima historiques.

Les auteurs notent également que malgré la sécheresse globale, quelques bassins versants ont quand même subi des épisodes de crue, notamment pendant l’hiver 1944-45, et les crues d’Alsace Lorraine de décembre 1947 ont établi des records dont certains restent en vigueur aujourd’hui.

Les conséquences de la sécheresse ne sont pas les mêmes aujourd’hui

Sanson et Parcé notent que ces années furent le siège de récoltes agricoles en forte baisse, mais, compte tenu du contexte de guerre jusqu’en 1945, ils refusent fort justement d’en attribuer la cause uniquement aux seuls aléas météorologiques. Ils notent aussi que la production hydroélectrique fut divisée par 3,5 par rapport aux normales d’avant guerre sur la période 1948-1949, et que plusieurs réservoirs de barrages hydroélectriques étaient à sec,  entraînant des coupures de courant récurrentes. Les auteurs, loin de crier à l’apocalypse climatique, font preuve de beaucoup de modestie, et s’estiment incapables de prédire si la tendance observée doit se poursuivre ou si un retour à la normale doit être envisagé. Ce retour à la normale, de fait, eut bien lieu dans les années 50, le régime du bassin versant de la Garonne restant toutefois assez sec jusqu’en 1958.

Les sécheresses d’hier ne sont pas celles d’aujourd’hui, lesquelles ne seront pas celles de demain. En effet, les conditions influant sur la perception de la sécheresse ont changé. En 1948, notre population n’était que de 42 millions d’habitants, et beaucoup de foyers ruraux n’étaient alors pas raccordés à l’eau potable. Les prélèvements pour l’eau potable, tant pour les ménages que pour la production d’électricité ou toutes les activités économiques, ont été multipliés par 3 entre 1955 et 1985 (source). La tendance s’est inversée depuis, et la consommation d’eau baisse depuis les années 90, tant du fait d’une légère baisse de celle des ménages depuis le début des années 2000 que de l’amélioration des réseaux de distribution et de l’efficacité hydraulique des industries et de l’agriculture. Cependant, les prélèvements pour l’eau potable restent 2,7 fois plus importants qu’à l’immédiat après-guerre. Le risque de pénurie est donc plus sensible aujourd’hui, même à niveau de sécheresse moins dur d’un point de vue météorologique.

Conclusion

Il apparaît donc que ni la sécheresse de 2022 ni la succession d’épisodes secs depuis 2018 ne sont sans précédent, et que la période comprise entre 1942 et 1949 a été hydrauliquement plus dure que l’actuelle. Mais l’évolution de nos modes de vie modifie le seuil d’occurrence d’un risque de pénurie. Naturellement, la série actuelle de sécheresses est en cours, et il est encore trop tôt pour conclure quoi que ce soit quant à l’évolution à long terme de notre climat, mais à l’évidence, crier à l’apocalypse climatique et à la fin de l’eau en France est prématuré et non constructif. La meilleure façon de lutter contre les effets des sécheresses réside dans la poursuite de nos efforts technologiques (désalinisation, recyclage, efficacité hydraulique industrielle et agricole) pour réduire nos prélèvements sur la ressource fluviale et souterraine.

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