Le lien entre consommation de nitrites dans la charcuterie et cancer confirmé par les autorités sanitaires

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Illustration d'un supermarche et des rayons de jambon de paris, bio sans nitrite. Paris, janvier 2021. Herta Flaury Michon. Photography by Riccardo Milani / Hans Lucas (Photo by Riccardo Milani / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP)

L’Agence nationale de sécurité sanitaire préconise de réduire l’exposition de la population aux produits utilisés pour transformer et conserver la viande.

Cette fois, le doute n’est plus permis : les nitrites, ces additifs controversés utilisés dans les charcuteries, représentent bien un danger. Dans un avis très attendu publié mardi 12 juillet, l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) reconnaît pour la première fois le lien entre consommation de nitrites et cancer. « L’analyse des données bibliographiques confirme l’existence d’une association entre les risques de cancer colorectal et l’exposition aux nitrates et nitrites ingérés via la viande transformée », écrit l’Anses dans son expertise. L’agence sanitaire française endosse ainsi tardivement les conclusions du Centre international de recherche sur le cancer (CIRC). Cet organisme indépendant rattaché à l’Organisation mondiale de la santé a classé les viandes transformées dans la catégorie cancérogène avérée dès 2015. Selon le CIRC, leur consommation est à l’origine d’au moins 4 300 cas de cancer colorectal chaque année en France et des suspicions existent pour le cancer de l’estomac.

L’Anses avait été saisie en juin 2020 par les ministères de la santé et de l’agriculture afin d’évaluer les risques associés à la consommation de nitrites et de nitrates. Le dossier est à ce point sensible que l’agence a pris tout son temps pour rendre ses conclusions, initialement prévues en juillet 2021. Le sujet oppose depuis plusieurs années les associations de consommateurs et de protection de la santé aux industriels, qui martèlent que le recours aux additifs nitrés est indispensable pour éviter la formation de bactéries.

Un conservateur contre des bactéries pathogènes

Historiquement, les charcutiers recourent aux composants nitrés pour allonger la durée de conservation des produits et prévenir le développement de bactéries pathogènes à l’origine notamment du botulisme, une affection neurologique grave largement oubliée du fait des progrès sanitaires. Ce sont aussi ces composants qui donnent sa couleur rose au jambon, naturellement gris.

L’Anses « préconise de réduire l’exposition de la population aux nitrates et nitrites par des mesures volontaristes en limitant l’exposition par voie alimentaire ».

Quelques heures après la publication de cet avis, le gouvernement a annoncé un « plan d’action » visant à réduire ou supprimer l’utilisation des additifs nitrés « dans tous les produits alimentaires où cela est possible sans impact sanitaire », selon un communiqué des ministères de la Santé et de l’Agriculture.

Une première réunion avec les acteurs techniques des filières sera organisée avant la fin juillet et le plan d’action présenté « à l’automne » au Parlement.

Le gouvernement rappelle qu’en France, « les filières charcutières sont déjà en deçà des seuils autorisés au niveau européen (taux d’incorporation maximum de 150 mg par kilogramme), avec un maximum de 120 mg par kilo ».

Dans son rapport, l’Anses estime possible d’aller au-delà, tout en prenant garde à l’équilibre entre risque et protection sanitaire, les additifs nitrés permettant de lutter contre le développement de maladies.

« Bien que la réduction du taux d’additif soit de nature à accroître de façon significative le risque microbiologique » – et donc le développement de maladies comme la salmonellose, la listériose ou le botulisme – l’Anses « considère qu’elle peut être envisagée moyennant la mise en œuvre de mesures compensatrices validées de maîtrise de ce risque ».

Par exemple en raccourcissant les dates limites de consommation des produits ou en agissant au niveau des étapes de fabrication (mesures de bio-protection dans les élevages et les abattoirs). Cela serait possible pour le jambon cuit par exemple.

Les jambons « sans nitrites », une fausse alternative

Avant même l’annonce du gouvernement, l’association Foodwatch, la Ligue contre le cancer et l’application Yuka avaient réclamé aux pouvoirs publics de « prendre leurs responsabilités » et « d’interdire ces additifs ».

La Fédération française des charcutiers (Fict) a elle qualifié l’avis de l’Anses d’« équilibré »« On est le pays au monde où on utilise le moins d’additifs, avec le Danemark. On a déjà commencé à baisser le taux d’additifs et on va continuer à le baisser », a déclaré à l’AFP son président Bernard Vallat.

En février, l’Assemblée nationale avait voté le principe d’une « trajectoire de baisse » des doses maximales d’additifs nitrés dans la charcuterie.

Alors que de grands fabricants se sont déjà lancés dans des gammes de jambon dits « sans nitrites », l’agence met en garde contre les solutions de substitution à base d’« extraits végétaux » ou de « bouillons de légumes » : « Cela ne constitue pas une réelle alternative dans la mesure où (ces substituants) contiennent naturellement des nitrates qui, sous l’effet de bactéries, sont convertis en nitrites ».

« Ces produits dits « sans nitrite ajouté » ou « zéro nitrite » contiennent donc des nitrates et des nitrites cachés », souligne l’agence.

Recommandation de 150 g de charcuterie par semaine

Cet hiver, des débats musclés avaient opposé d’une part les charcutiers qui défendaient un savoir-faire centenaire dans le respect de la loi, et d’autre part des associations de consommateurs et la Ligue contre le cancer, qui plaidaient pour l’interdiction pure et simple des additifs controversés.

De son côté, le gouvernement avait dit vouloir « attendre le retour » de l’Anses avant de prononcer des mesures de mise en œuvre du texte, et s’était engagé « à suivre l’avis » de l’agence.

L’Anses estime aussi important de mieux définir les « doses journalières admissibles » (DJA) de nitrates et nitrites.

L’agence constate aussi un paradoxe : l’existence d’un lien entre consommation de viandes transformées et risque de cancer, alors même que les « doses journalières admissibles » (DJA), de 150 g de charcuterie par semaine en France, sont respectées.

Les DJA sont « définies séparément pour chacune de ces substances, alors que les mécanismes biochimiques en jeu constituent une suite de transformations vers des composés nitrosés », souligne l’avis.

Les nitrates présents dans les végétaux et l’eau

En clair : les nitrates, présents naturellement dans les sols, peuvent voir leur concentration renforcée par les activités agricoles (engrais, effluents d’élevage). Ils se retrouvent dans les végétaux que l’on consomme et l’eau que l’on boit.

Dans notre bouche, sous l’effet d’enzymes bactériennes, les nitrates ingérés se transforment en nitrites. Et ces derniers, instables, peuvent, quand ils sont présents en excès, générer la formation de « composés nitrosés »« connus pour leur caractère génotoxique et cancérogène ».

L’Anses recommande donc de poursuivre les recherches, pour « établir la valeur toxicologique de référence prenant en compte la co-exposition » aux additifs, mais aussi de lancer de nouvelles études épidémiologiques pour améliorer les connaissances sur le lien avec le risque de différents cancers. En attendant, l’agence conseille de limiter sa consommation de charcuterie à 150 g par semaine et appelle à avoir une alimentation diversifiée.

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