Prolongation de l’état d’urgence sanitaire: quand l’urgence devient la routine

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Le vendredi 5 novembre 2021, par 147 voix contre 125, le Parlement a adopté le projet de loi de «vigilance sanitaire» qui permet de proroger l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 31 juillet 2022.

Depuis les attentats du 13 novembre 2015, la France a vécu plus de la moitié du temps sous un régime d’état d’urgence : d’abord l’état d’urgence dit «sécuritaire» ou «antiterroriste» issu de la loi du 3 avril 1955, ensuite l’état d’urgence sanitaire institué pour faire face à l’épidémie de covid-19. Au total donc, trois des six dernières années. Ce qui devrait relever de l’exception se banalise chaque jour un peu plus.

Notre démocratie est incapable de gérer des crises dans le cadre du droit commun

Elle dégaine de façon quasi mécanique des mesures dérogatoires pour faire face à une situation inédite, rend perplexe sur la culture constitutionnelle du Gouvernement actuel.

Nos dirigeants semblent tous ignorer, ou avoir oublié, que la Vème République imaginée par le général de Gaulle et Michel Debré est un navire conçu pour naviguer dans les tempêtes. Car oui, 1958 n’a pas été une année de calme plat.

Pour rappel, en 1958, la IVème République était plongée depuis quatre ans dans la guerre d’Algérie et était bien incapable de trouver une solution. A partir de mai 1958, un comité de vigilance appellera à manifester contre le FLN à Alger: la grève générale et les manifestations conduiront à la prise du gouvernement général par les insurgés, soutenus par les généraux Salan, Jouhaud, Gracieux et l’amiral Auboyneau. Le putsch d’Alger se traduira par la mise en place du comité de salut public tandis que l’insurrection prendra de l’ampleur, risquant de dégénérer en guerre civile. Cette crise se terminera par l’investiture du général de Gaulle à la présidence du Conseil le 3 juin 1958, avec pour mission de rédiger dans les six mois la Constitution de la Vème République. C’est le 4 juin qu’il prononcera le discours d’Alger, et cette formule passée à la postérité: «Je vous ai compris».

La nouvelle Constitution sera structurée autour d’un principe cardinal trouvant sa source dans le discours de Bayeux en 1946: offrir au gouvernement le moyen d’agir rapidement en cas de crise, dans le cadre du droit commun.

L’usage prolongé de l’état d’urgence soulève de nombreuses questions

Le Conseil d’Etat, dans son étude annuelle de 2021 au titre explicite «Les états d’urgence: la démocratie sous contraintes», a jugé l’usage de cet état d’urgence délétère puisque selon lui «il déstabilise le fonctionnement ordinaire des institutions, en bouleversant le rôle du Parlement et des institutions territoriales, banalise le risque, restreint les libertés de façon excessive et altère, à terme, la cohésion sociale». Quand on connait la prudence du Conseil d’Etat, un tel diagnostic interpelle.

Aussi, pour éviter les prorogations abusives du régime d’exception et toute restriction excessive des libertés des citoyens, il pourrait être judicieux d’envisager une réforme constitutionnelle permettant qu’en cas de désaccord avec le Sénat, le Gouvernement ne puisse plus donner à l’Assemblée nationale le «dernier mot» dans la procédure législative pour toute loi décidant ou prorogeant l’état d’urgence.

Le Parlement pourrait alors, en vertu de l’équilibre des pouvoirs cher à Montesquieu, remplir son rôle de contrepouvoir et de garant des libertés.

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