DROGUE ET TABAC : INEPTIES ET CONTREVÉRITÉS STATISTIQUES

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Sur la base des données de 2019, l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT) a publié fin juillet 2023 un rapport pour dénoncer le coût des drogues : tabac, alcool, drogues illicites. Déjà, le fait de classer le tabac et l’alcool dans les drogues est manifestement excessif et fallacieux. Mais l’évaluation de ces coûts est plus trompeuse encore.

L’auteur du rapport prend en compte les coûts de ces « drogues » pour les finances publiques au titre des soins médicaux et des actions de prévention et répression qui sont contrebalancés par les recettes fiscales et les économies au titre des retraites non versées à cause des décès prématurés des consommateurs. Pour le tabac, la charge nette de la collectivité ne ressort qu’à 1,3Md€. Elle est plus importante pour l’alcool, soit 3,3Md€ et pour les drogues illicites (héroïne, cocaïne, cannabis…), soit 3,2M€.

Mais il accroît la charge publique en prenant en compte celle de la perte de vie à raison d’une valeur de 115 000 euros par année de vie perdue par rapport à l’espérance de vie moyenne déterminée sur la base d’un rapport Quinet de 2013. Ce qui porterait la charge nette à 155,7Md€ pour le tabac, 102,4Md€ pour l’alcool et 7,7Md€ pour les drogues illicites.

L’avortement coûte-t-il quinze fois plus cher que le tabac ?

Un tel rapport frappe ainsi les esprits avec des chiffres qu’on peut manipuler à l’envi. Pourtant cette estimation, de 115 000€ par année « perdue », n’a guère de sens, voire ne signifie rien. Si ces chiffres étaient justes, il faudrait s’empresser d’interdire l’avortement plutôt que de lutter contre le tabac et l’alcool. En effet, selon la DREES, il y a eu 223 300 avortements en 2021 (chiffres confirmés par d’autres estimations, notamment de l’INED). Sur la base d’une espérance de vie moyenne (homme/femme) « perdue » de 82,35 ans par enfant avorté, et au prix de 115 000€ par année perdue, le coût de l’avortement représenterait chaque année un montant énorme de 2.105 milliards d’euros. Il n’y aurait donc pas d’hésitation dans les choix de politique publique. Sauf à ce que l’option politique soit de considérer qu’il faut laisser à chaque femme le choix d’avorter. Mais alors pourquoi ne pas laisser à tous le choix de fumer. Car si on peut admettre que l’alcool, et surtout les drogues diverses, sont dangereuses pour les autres, le tabac n’est généralement mauvais que pour son consommateur et ne devrait relever que de son choix. On pourrait admettre que des politiques publiques ou privées militent pour réduire la consommation de tabac qui est nocive pour les individus, mais alors il faudrait faire la même chose à l’encontre de l’avortement qui est criminel pour l’enfant à naître. Pourtant aujourd’hui, non seulement les politiques publiques encouragent l’avortement et combattent le tabac, mais désormais il est délictuel de tenter de persuader une femme qui a le projet d’avorter de ne pas le faire (loi du 20 mars 2017 relative à l’extension du délit d’entrave à l’interruption volontaire de grossesse). On voit que la question mériterait plus de réflexion que ce rapport qui fait du bruit à nos frais.

Des risques minimisés

L’Observatoire français des drogues et des tendances addictives est un groupement d’intérêt public qui publie ses rapports avec notre argent. En 2022, son budget était de 4 716 799 € en autorisations d’engagement de crédits (AE). Est-ce donc sa mission de prendre parti avec des chiffres fantaisistes ?

Car le rapport prend parti. Il stigmatise le tabac alors que sur la base de ses chiffres et du nombre de consommateurs « à risque » qu’il évalue à treize millions pour le tabac (fumeurs quotidiens), à 3,5 millions pour l’alcool (soit 8 % des 18-75 ans) et à 300 000 pour les drogues illicites, le coût par consommateur « à risque » apparaît sensiblement inférieur, de 11 977€ pour le tabac contre 29 257€ pour l’alcool et de 25 667 par drogué.

Le rapport minimise d’ailleurs manifestement les risques liés aux drogues et augmentent ceux liés au tabac et à l’alcool. Il ne prend pas en compte les risques et frais indirects liés à la drogue et relatifs d’une part à l’insécurité générale que cette consommation fait peser sur l’ensemble du territoire national et aux rixes, vols, incivilités qu’elle entraîne, et d’autre part au coût, sans doute beaucoup plus dramatique, de la détérioration du comportement et du cerveau que ces drogues génèrent chez leurs consommateurs, notamment les plus jeunes.

L’étude ne prend pas en compte non plus le fait qu’une mort précoce des fumeurs et des alcooliques épargne des coûts d’assurance maladie très importants, la dépense moyenne de santé publique étant fortement croissante avec l’âge : de 237 € par an en moyenne pour les assurés de 2 à 16 ans à 3 676 € pour les 85 ans et plus. En tenant compte de ces éléments et hors charges pour années de vie perdue, le coût social du tabac, et peut-être celui de l’alcool, devrait être compensé, même largement, par les recettes des finances publiques qui y sont liées.

L’étude recèle encore de nombreux biais. Afin de calculer la perte de valeur de la qualité de vie engendrée par les symptômes des pathologies dues aux drogues, il ne retient que les classes d’âge supérieures à 55 ans alors que chacun sait que ce sont les jeunes qui se droguent le plus, jusqu’à 20 fois plus selon le Rapport mondial sur la drogue des Nations unies de juin 2018. Le rapport ne prend pas en compte nombre d’accidents, mortels ou non, dus au cannabis en considérant qu’il n’est pas possible de dater précisément la date de consommation de cette substance par rapport à celle de l’accident. Il ne retient pas non plus la mortalité engendrée par le cannabis en considérant que les causes sont souvent mêlées. Il dédouane le cannabis parce que l’auteur du rapport, Pierre Kopp, professeur d’université et avocat, est favorable à la dépénalisation du cannabis (RTL, 19 juin 2019) qui selon lui rapporterait 1 milliard d’euros à l’Etat (Le Monde, 2 août 2011).

A son encontre, Nicolas Prisse, président de la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca), qui dépend du Premier ministre, vient opportunément rappeler (Le Monde du 3 août 2023) que « au Canada et aux Etats-Unis, la légalisation aboutit à une banalisation du produit et par conséquent à une augmentation des consommations des adultes ».

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