Deux chercheurs (Félix Paquier et Michaël Sicsic) respectivement de la Drees (ministère des Solidarités) et de l’Insee, ont produit une étude qui évalue les effets, sur les inégalités de niveau de vie et les finances publiques, de la transformation de l’ISF en IFI et de la mise en place du Prélèvement forfaitaire unique – PFU – à 30 % sur les revenus mobiliers en France en 2018.
Leurs conclusions se résument ainsi : à court terme, l’effet positif de ces réformes sur les niveaux de vie est très concentré dans le haut de la distribution, même si les gains sont limités par la hausse de la CSG. Le coût théorique pour les finances publiques aurait été de 3,5 milliards d’euros par an correspondant à un gain pour les contribuables de 3,5 Md€ au titre de l’ISF et de 1,7 Md€ au titre de l’IFU compensée par une perte d’autant (1,7 Md€) au titre de l’augmentation de 1,7% de la CSG sur les revenus du patrimoine.
La plupart des commentateurs n’ont retenu que les conclusions des auteurs selon lesquelles ces mesures avaient favorisé l’accroissement des inégalités. « Des riches plus riches et des pauvres plus pauvres : voilà malheureusement un bon résumé de l’évolution des niveaux de vie, tel que mesuré par l’Insee » conclut Alternatives Economiques.
La réalité est bien différente. Car cette étude est partielle et donc partiale. Elle ne prend pas en compte l’augmentation de CSG (1,7%) sur les retraites qui n’a pas été compensée, sauf cas particuliers.
Certes, certains retraités ont bénéficié d’une exonération de cette hausse de CSG, mais pas les plus riches. Le rapport sur l’application des mesures fiscales – présenté le 18 juillet 2018 à la commission des Finances de l’Assemblée nationale par le rapporteur général du budget, Joël Giraud (LREM) – a montré qu’en 2018, 6 400 000 ménages retraités étaient encore frappés par l’augmentation de la taxe (c’est-à-dire les ménages percevant une pension égale ou supérieure à environ 1 300 € par mois pour une personne seule et 2 000 € par mois pour un couple, l’exonération des ménages ayant un revenu inférieur à 2 000€ par moi n’étant entrée en vigueur qu’au 1er janvier 2019).
Et le même rapport de M. Giraud précise que 82,6 % des retraités appartiennent aux sixième à dixième déciles les plus élevés. Soit une augmentation de la charge fiscale/sociale pour ces foyers de l’ordre de 4 Md€, sensiblement supérieure au montant du gain sur l’ISF et l’IFU, estimé par nos chercheurs à œillères, de 3,5Md€.
Ajoutons que les 20% les plus riches n’ont pas bénéficié de la réduction de taxe d’habitation. Globalement, il y a donc eu un accroissement de l’imposition des plus riches et une réduction des prélèvements sur les plus modestes via le dégrèvement progressif de la taxe d’habitation. L’inverse de ce que dit l’étude de MM Félix Paquier et Michaël Sicsic.
Cette étude recèle d’ailleurs de nombreux biais dans ses méthodes.
Les auteurs exposent qu’il leur manquait diverses données pour procéder à leur analyse et qu’ils ont du faire des suppositions sur le PFU qui n’a touché qu’une partie des revenus concernés de l’année étudiée (2018). Ils ont évalué prioritairement les effets des réformes à comportements inchangés et à court terme sans prendre en compte les effets de long terme. Ils ont reconstitué de diverses manières les patrimoines et les revenus ainsi que leur distribution pour leur appliquer ensuite de manière hypothétique les dispositions fiscales et sociales de l’année 2017, puis celles de l’année 2018 et faire ressortir la différence.
Beaucoup d’hypothèses, de supputations et de simulations successives permettent-elles d’arriver à un résultat crédible ? Ce n’est pas certain. C’est évidemment beaucoup de travail, payé par les contribuables, et beaucoup d’incertitudes pour arriver à la conclusion que les riches exonérés d’ISF avaient eu intérêt à la réforme ! En oubliant qu’on en a demandé à beaucoup d’entre eux la contrepartie et au-delà, autrement.
En outre, l’étude de ces deux chercheurs souligne que le coût pour les finances publiques des réformes de l’ISF et du PFU n’aurait été finalement que de 2,9 milliards d’euros. Un chiffre bien inférieur à celui qui était anticipé dans un rapport d’octobre 2019 par France Stratégie – institution rattachée au gouvernement – et qui évaluait à l’époque le coût de ces mesures à 5,1 milliards d’euros. Ce qui montre tout à la fois la faiblesse de toutes prévisions et l’importance des mesures sur le comportement des Français.
Car ce qui s’est passé est que les entreprises ont profité de la baisse des prélèvements obligatoires sur les dividendes pour distribuer plus de bénéfices, ce qui a augmenté les ressources des actionnaires, mais aussi les produits de l’impôt sur les dividendes : la baisse du taux de l’impôt a conduit à une hausse du produit de l’impôt !
Une fois encore, l’idéologie l’emporte dans l’analyse. Et prévaut l’idée bien française que l’important serait que les riches gagnent moins plutôt que de vouloir que les pauvres gagnent plus. Peu importe aux idéologues que cette obsession d’abaissement de la richesse des riches contribue en fait à la paupérisation des pauvres. Car abaisser les riches au-delà d’un niveau raisonnable, c’est les inciter à fuir la France, à cesser d’innover, d’entreprendre, d’embaucher, d’investir…, donc cesser d’enrichir les autres.