Pour le fondateur de Blackstone Stephen Schwarzman, « Les meilleurs jours du non-coté sont devant nous »

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(Spencer HEYFRON/Redux-REA)

Stephen Schwarzman livre à Capital Finance sa vision du marché. Il revient sur les sujets phares de cette rentrée : le contexte ­macroéconomique, l’écosystème français, le ralentissement du deal flow, la montée en puissance de la dette privée, la frilosité des LPs, la manne du retail, la consolidation du secteur, la vague verte, la révolution de l’IA…

La hausse des taux, les difficultés, de financement combinées à l’inflation signent-elles la fin de l’âge d’or pour votre industrie ?

Je suis fermement convaincu, au contraire, que les meilleurs jours pour le non-coté sont devant nous ! Lorsque mon partenaire Pete Peterson et moi avons fondé Blackstone dans les années 1980, ces conditions – forte inflation, taux d’intérêt élevés – étaient la norme. L’ère des taux d’intérêt très bas que nous avons connue dans les années 2010 tenait pour beaucoup de l’exception. Blackstone a poursuivi sa croissance à travers tous ces cycles de marché. Aujourd’hui, notre activité est plus diversifiée que jamais, avec plus de 70 lignes stratégiques de l’infrastructure, aux sciences de la vie avec une équipe internationale à la recherche de débouchés dans le monde entier. Nous sommes à l’aube d’opportunités sur l’ensemble de l’éventail des secteurs dans lesquels nous investissons et des clientèles que nous pouvons servir.

Avec l’émergence des fonds de dette, le private equity a-t-il encore besoin des banques ?

L’environnement de la dette privée a changé au cours de la dernière décennie en raison de la croissance des prêts en dehors des banques traditionnelles. Mais la relation entre les deux marchés s’avère beaucoup plus complémentaire qu’il n’y paraît. Ce n’est pas un jeu à somme nulle. Cela dit, nous constatons que les entreprises ont de plus en plus tendance à se tourner vers la dette privée.

Malgré son coût élevé, qu’apporte ce type de financement ?

L’avantage des fonds de dette privée comme les nôtres est que nous pouvons offrir aux entreprises un financement à grande échelle avec une garantie d’exécution et des conditions plus personnalisées que celles qu’elles pourraient obtenir sur le marché des prêts bancaires syndiqués. Nous sommes aussi souvent plus rapides à nous engager. Les fournisseurs traditionnels de financement sont actuellement davantage prudents en raison des conditions du marché, alors que la demande de crédit continue de croître.

Ce changement structurel du marché crée un moment privilégié pour la dette privée. Une forte demande, une hausse des taux d’intérêt et un élargissement des marges ont réellement contribué à la croissance de notre activité sur ce segment.

Croyez-vous que le capital-investissement supplante aujourd’hui la Bourse ?

Il ne faut pas opposer l’un à l’autre. Les marchés cotés et non cotés doivent coexister car un éventail d’options de financement est nécessaire pour répondre aux besoins des entreprises selon leur taille, leur secteur et chacune de leurs spécificités. Il ne s’agit pas toujours de choisir entre l’un ou l’autre : la présence de différentes sources de capitaux est saine pour le marché dans son ensemble.

Nous sommes à un point d’inflexion où les marchés non cotés financent davantage l’économie réelle que les marchés cotés.

Cela dit, nous sommes à un point d’inflexion où les investisseurs privés financent davantage l’économie réelle que la Bourse. Les marchés non cotés sont aujourd’hui très attractifs, ils permettent aux investisseurs d’accéder à des entreprises, des actifs, des débouchés et des stratégies qui ne sont pas disponibles ailleurs. Ils offrent des opportunités de rendement intéressantes, ainsi qu’une plus grande diversification des portefeuilles et une volatilité plus faible que le segment coté.

Comment appréhendez-vous le marché européen dans cet environnement ?

Nous sommes un investisseur majeur en Europe depuis plus de vingt-cinq ans, c’est un marché essentiel pour Blackstone. Depuis notre implantation à l’aube des années 2000, nous avons investi plus de 140 Md$ en capital. Nous employons indirectement plus de 130.000 personnes dans les entreprises de notre portefeuille européen. Nous avons des bureaux à Paris, Londres, Francfort, Zurich, Luxembourg, Milan, Madrid et Dublin. Cette présence locale et cette connaissance du marché sont très importantes pour réussir en Europe. Il faut des personnes qui connaissent parfaitement les pays, les réglementations, la culture et la langue. Nous sommes convaincus que l’Europe est un lieu propice à l’expansion de nos activités.

Quid de la France ?

La France représente un marché clé pour nous. Nous y sommes des investisseurs actifs depuis plus de vingt ans et continuerons à investir dans le pays et à soutenir l’économie française, y compris au niveau local.

Nous continuerons à investir dans le pays et à soutenir l’économie française, y compris au niveau local.
Sur un plan personnel, j’aime la France ! J’y passe beaucoup de temps et j’ai eu le privilège de pouvoir soutenir les arts et la culture français par des actions de mécénat, notamment pour la restauration des jardins du château de Chambord, au musée des Arts décoratifs et au Louvre. La France possède un patrimoine culturel des plus merveilleux au monde et je souhaite vivement contribuer à le protéger au bénéfice des générations futures. Ce qui rend le partenariat avec la France si exceptionnel, c’est notre conviction commune de s’inscrire dans le temps.

Comment percevez-vous les dernières tendances : financement par la valeur nette d’inventaire, par les fonds propres ?

Les marchés de financement, comme les marchés de capitaux, requièrent innovation et expérience. C’est là où la capacité à penser à long terme est un avantage pour les acteurs du non-coté dont nous faisons partie. Nous pouvons agir avec conviction, faire des acquisitions sur la base de fonds propres et organiser un financement ultérieur lorsque les conditions du marché s’améliorent. Cela est particulièrement important dans les transactions de retrait de cote où investisseurs et actionnaires requièrent une garantie d’exécution. Nous disposons de montants importants de fonds engagés et non déployés à cet égard.
Blackstone

Vous avez créé le numéro un mondial il y a quarante ans. A vos yeux, le marché du private equity est-il toujours dominé par ­la logique financière plus que par la transformation opérationnelle ?

Les sociétés comme Blackstone ont une obligation fiduciaire envers leurs investisseurs. Nos performances ont contribué à garantir les pensions de dizaines de millions de retraités, à financer les études des étudiants, à payer les prestations de soins de santé et à protéger et faire fructifier l’épargne d’investisseurs particuliers.Nous sommes extrêmement fiers du rôle que nous avons joué en obtenant ces résultats. Mais il ne s’agit pas d’un compromis vis-à-vis de la transformation opérationnelle, comme vous le suggérez. La logique est simple : plus la croissance d’une entreprise est rapide et durable, plus vous en bénéficierez plus tard. Nous avons des équipes opérationnelles importantes qui s’occupent de nos entreprises, en leur offrant un soutien dans toute une série de domaines fonctionnels, allant de la sélection des talents à la stratégie de marque, en passant par les données et les achats. Notre objectif est de développer des entreprises et des actifs solides et résilients qui dégagent de la valeur à long terme pour nos investisseurs.

Qu’y a-t-il après le cap des 1.000 milliards de dollars pour Blackstone ?

Nous avons parcouru un long chemin pour atteindre les 1.000 milliards de dollars sous gestion. Je me souviens d’avoir envoyé plus de 400 lettres concernant notre nouvelle entreprise en 1985 et d’avoir publié une pleine page de publicité dans un journal, dans l’espoir que le téléphone sonnerait. Le fait que personne n’ait appelé, si ce n’est quelques amis pour nous souhaiter bonne chance, a été une leçon d’humilité. Ce cap de 1.000 milliards reflète les performances réalisées pour nos clients et notre positionnement distinct en tant qu’innovateur de premier plan dans le secteur. De notre développement initial dans l’immobilier jusqu’aux expansions plus récentes dans l’infrastructure, les sciences de la vie, en passant par les fonds spéculatifs et la dette privée – la quasi-totalité de nos produits phares – sont leaders dans leurs classes d’actifs respectives, offrant des performances attractives à long terme. Nous restons en « mode innovation » – cela ne changera jamais.
Je me souviens d’avoir envoyé plus de 400 lettres concernant notre nouvelle entreprise en 1985 et d’avoir publié une pleine page de publicité dans un journal, dans l’espoir que le téléphone sonnerait. Le fait que personne n’ait appelé a été une leçon d’humilité.
L’innovation s’est également traduite par un élargissement des types de clientèle que nous servons. Cela a commencé par les fonds de pension, mais désormais les compagnies d’assurances, les fonds souverains et les investisseurs individuels reconnaissent les avantages de nos activités. Cela crée d’immenses opportunités pour notre entreprise et pour le secteur. Ces 1.000 milliards de dollars d’actifs sous gestion ne sont qu’une étape dans une marche en avant bien plus longue.

La consolidation des sociétés ­d’investissement devient-elle inévitable ?

Les limited partners concentrent leur capital au sein d’un groupe plus restreint de gestionnaires existants, focalisés sur des secteurs et des classes d’actifs résilients. Ils s’inquiètent également, à juste titre, de la manière dont les capitaux déployés au cours des trois ou quatre dernières années vont se comporter. Beaucoup de gestionnaires risquent donc de ne plus être en mesure de lever des capitaux à l’avenir, et oui il faut donc s’attendre à une forme de consolidation.

L’accès aux particuliers ­constitue-t-il la nouvelle frontière ? ­

La gestion de patrimoine est un secteur de croissance important pour notre groupe. Nous avons démarré cette activité il y a plus de dix ans avec l’objectif de fournir des produits de qualité institutionnelle aux particuliers. Nous en avons fait une branche à part entière. L’équipe compte aujourd’hui 300 personnes dans le monde entier et nous gérons près de 240 milliards de dollars d’actifs, grâce à une demande extraordinaire. Mais il y a encore de la place pour se développer, y compris en France. Il s’agit d’un marché mondial de 80.000 milliards de dollars dont l’allocation aux ­produits alternatifs ne représente qu’un faible pourcentage.
Blackstone

Les retraits subis par votre fonds immobilier ouvert à cette clientèle remettent-ils en cause votre stratégie ?

Notre société privée de placement immobilier (BREIT), que vous mentionnez, a généré des rendements nets annuels de 12 % depuis sa création pour notre catégorie d’actions la plus importante. L’immobilier commercial a fait l’objet de beaucoup d’attention ces derniers mois, mais il est important de se rappeler que tous les biens immobiliers ne sont pas de même nature. Dans le passé, les sous-secteurs évoluaient plus ou moins de manière synchrone.
Nous restons confiants dans la reprise de la croissance de notre véhicule immobilier BREIT.
Mais aujourd’hui, nous constatons une dispersion remarquable entre les différents segments de l’immobilier. Les immeubles de bureaux traditionnels, auxquels la plupart des gens pensent lorsqu’ils entendent « immobilier commercial », sont confrontés à de véritables défis séculaires, avec des taux de vacance élevés et une pression à la baisse sur les loyers. D’un autre côté, des secteurs tels que les entrepôts, le résidentiel locatif et les centres de données ont fait preuve d’une réelle vigueur. Ces trois secteurs représentent environ 80 % du portefeuille. Nous restons confiants dans la reprise de la croissance de ce ­véhicule, compte tenu du positionnement de notre portefeuille et de nos performances exceptionnelles à long terme.

Le Big Data représente-t-il un élément clé dans vos arbitrages d’investissement ?

Blackstone a toujours été une « société de données » bien avant l’ère de l’Internet. Même si les data d’alors n’étaient pas numériques, nous avons dès nos débuts utilisé la dimension et la diversité de nos sociétés de portefeuille pour repérer les risques et voir plus loin. Aujourd’hui, l’apport de notre équipe de data scientists élargit considérablement les informations que nous pouvons tirer de notre portefeuille.Nous considérons également la prolifération des données comme un thème d’investissement clé aujourd’hui. En une minute, le monde génère 5,9 millions de recherches sur Google, 16 millions de messages texte, 1 million d’heures de vidéo en continu… Tout cela doit être stocké quelque part, c’est pourquoi nous constatons une forte augmentation de la demande en centre de données dans notre portefeuille et ailleurs. En 2021, nous avons privatisé QTS, une entreprise leader dans ce domaine, pour un montant de 10 milliards de dollars. Au cours des deux dernières années, la capacité louée a été plus importante qu’au cours des dix-sept années précédentes.

La révolution de ChatGPT est-elle ­un non-événement ou un tournant ?

C’est certain, l’IA change la donne et a le potentiel de transformer des secteurs entiers de l’économie, tout comme Internet l’a fait il y a plusieurs décennies. Chez Blackstone, nous avons créé en 2015 un groupe de scientifiques des données qui compte aujourd’hui plus de cinquante personnes, et nous développons de manière significative et rapide nos capacités en matière d’intelligence artificielle. Cela nous place dans une position enviable dans le monde des actifs alternatifs, avec une avance de huit ans dans ce domaine que nous sommes déterminés à renforcer.
L’IA a le potentiel de transformer des secteurs entiers de l’économie, mais elle doit progresser en parallèle des préoccupations éthiques.

Comment l’utiliser efficacement ?

Personnellement initié à l’IA en 2015, j’en ai rapidement apprécié le pouvoir de transformation – non seulement sur les entreprises, mais aussi sur la société. En 2018, afin de réorienter l’université autour de l’IA, j’ai fait un don de 350 millions de dollars au MIT à Boston pour créer le Schwarzman College of Computing. En 2019, j’ai financé la création d’un nouvel Institut pour l’éthique de l’IA à l’Université d’Oxford. La technologie de l’IA a la capacité de faire énormément progresser des domaines tels que la médecine et l’éducation, mais elle présente également des dangers. La technologie de l’IA doit progresser en parallèle des préoccupations éthiques.

Concernant la vague verte, quelle est votre approche de l’investissement dans l’énergie
et la décarbonisation ?

Nous considérons qu’il existe un marché potentiel important et diversifié pour les investissements dans la transition énergétique, et nous avons commencé à investir dans ce secteur dès 2007. L’énergie représente 10 % du PIB mondial, et le besoin en capital et en expertise dans ce domaine ne fera que croître au fil du temps, ce qui rendra ces actifs plus attractifs. Au cours des deux dernières années, nous avons investi dans des fabricants de composants solaires tels qu’Esdec et Array, sachant qu’il s’agit d’un domaine dans lequel nous pouvons nous développer et aller plus loin.L’effort mondial de décarbonisation nécessite des capitaux considérables et de l’innovation dans de vastes pans de l’économie – 5,5 billions de dollars de dépenses en capital sont nécessaires chaque année, et ce chiffre ne sera pas atteint sans un investissement significatif du private equity.

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